Il ne fait aucun doute que le terme « résilience » occupe une place prépondérante dans presque tous les lexiques professionnels post-COVID, servant de fourre-tout pour toute activité à connotation positive. En tant que mot à la mode dans le secteur des organismes à but non lucratif, il a été fait référence à l’ensemble du secteur comme étant « résilient », la résilience ayant été identifiée comme la pierre angulaire du progrès durable, et une multitude de billets de blogue et d’articles ayant été consacrés à vanter les vertus de la culture de la résilience pour assurer la viabilité et la croissance à long terme de toute organisation caritative. Il est facile de comprendre pourquoi. Après avoir vécu l’improvisation frénétique de notre réponse à la pandémie de COVID et les risques existentiels que représentaient à la fois la maladie et notre réponse pour le secteur, l’idée que nous, en tant que dirigeants informés, pragmatiques et tournés vers l’avenir, puissions renforcer nos organisations contre les risques de futures calamités est absolument enivrante.
Par conséquent, aujourd’hui plus que jamais, les organisations caritatives se posent des questions fondamentales sur leur propre modèle de revenus et se demandent si leur stratégie et leur infrastructure de collecte de fonds sont conçues pour résister à une nouvelle vague de changements dans le paysage philanthropique. En tant que collecteurs de fonds, nous avons tendance à poser des questions telles que :
« Nos sources de revenus sont-elles suffisamment diversifiées pour faire face aux fluctuations du marché ou à la disparition de grands donateurs ? »
« Nos partenariats d’affaires sont-ils assez solides et bien alignés pour survivre à ces mêmes changements de marché ? »
« Gérons-nous correctement notre portefeuille de donateurs, en établissant des relations authentiques et durables avec eux ? »
« Avons-nous construit un argumentaire suffisamment convaincant pour que, si les donateurs doivent réduire leurs contributions, nous soyons les derniers à être coupés ? »
Dans le sillage d’un paysage philanthropique déstabilisé comme celui que nous venons de traverser, ce sont là des questions qu’il est judicieux et prudent de se poser. Cependant, des signes récents, tant au Canada qu’aux États-Unis, suggèrent que la prochaine grande crise à laquelle notre secteur sera confronté ne sera peut-être pas d’ordre sanitaire, mais politique. Avec la montée persistante du trumpisme au Sud et une nouvelle chefferie canadienne probablement dans les prochaines semaines, la première question que chaque organisme de bienfaisance canadien devrait se poser en ce moment est : « Sommes-nous prêts ? » La deuxième question, peut-être encore plus cruciale, est : « Comment le savoir ? »
La réponse à ces questions se trouve dans la réponse à ces quatre lignes d’enquête distinctes, mais entrelacées.
La mission de notre organisation s’aligne-t-elle sur la vision politique et l’idéologie du moment ?
Dans le secteur caritatif, la mission est primordiale. Elle fournit l’orientation fondamentale du mandat de l’organisation, définit les limites et les possibilités d’une organisation caritative et constitue la pierre angulaire de toute narration sur ses ambitions, ses objectifs, son mode d’intervention et ses réussites.
Comme les organisations caritatives évoluent dans un paysage politique donné, lorsque leur mission s’aligne étroitement avec l’idéologie du gouvernement en place, les opportunités d’obtenir des subventions et des contributions de la part du gouvernement peuvent être nombreuses. C’est particulièrement vrai lorsqu’elles offrent une occasion de prise de photos pour alimenter les réseaux sociaux du gouvernement et une belle histoire à partager dans leur « dix-pour-cent ».
Par exemple, depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux de Trudeau, les organismes de bienfaisance canadiens dont la mission est axée sur la protection de l’environnement, la réconciliation avec les peuples autochtones et l’éducation ou les programmes en matière de diversité, d’équité et d’inclusion (EDI) ont bénéficié d’un accès sans précédent aux financements gouvernementaux. En revanche, les organisations dont la mission est liée au patrimoine et au patriotisme canadiens, aux petites entreprises ou aux activités confessionnelles, toutes favorisées par les conservateurs de Harper, ont vu leurs possibilités de financement gouvernemental se réduire considérablement avec le changement de gouvernement.
Pour faire face à ce qui pourrait potentiellement être un nouveau bouleversement politique majeur, les organismes de bienfaisance devront évaluer dans quelle mesure leur mission s’aligne avec les nouvelles orientations d’Ottawa. Si l’alignement est fort, il faut en tirer parti dans les conversations avec les acteurs politiques et les personnes influentes. Si la concordance est faible, ou même opposée aux priorités du gouvernement en place, les organisations devront faire preuve de créativité pour démontrer comment leur mission s’aligne sur les nouvelles orientations politiques. Un programme en EDI pourrait ne pas susciter d’intérêt, mais un programme qui s’appuie sur les meilleures pratiques en gestion de ressources humaines pour accroître la productivité des entreprises pourrait être perçu favorablement. Le terme « carboneutralité » pourrait rebuter nos nouveaux décideurs politiques, alors qu’un projet mettant en avant les avantages économiques des énergies propres pourrait correspondre à ce qu’ils recherchent.
Une façon de discerner la meilleure façon d’être « créatif » dans ces espaces est d’examiner minutieusement toutes les lettres de mandat des ministres et d’intégrer le langage utilisé dans ces lettres dans les conversations et les documents de soutien. Les politiciens sont toujours à la recherche de victoires à la fois externes et internes. Et ils savent que s’ils peuvent démontrer à leurs propres directions qu’ils réalisent ce qui leur a été demandé, cela est de bon augure pour leur carrière.
Avons-nous préparé une stratégie de communication et développé les outils associés pour mettre en valeur cet alignement auprès d’un public changeant ?
Le célèbre philosophe canadien Marshall McLuhan a affirmé que « le message, c’est le medium ». Pour les organisations caritatives évoluant dans un environnement politique en mutation, on ne saurait trop insister sur ce point. Si l’alignement de la mission est crucial, la construction d’un récit durable qui reflète cet alignement l’est tout autant. En tant que dirigeant d’une organisation caritative, vous pouvez penser que votre organisation s’aligne sur les courants politiques du moment. Mais si vous n’avez pas raconté cette histoire, ou si votre public cible ne l’a pas entendue, vous pourriez être le seul à la voir.
Ainsi, l’une des étapes les plus importantes que peut prendre une organisation caritative est de développer une histoire qui la positionne en tant que championne d’un élément (ou de plusieurs, si la connexion est profonde et authentique) de l’ambition du gouvernement actuel, puis de mettre en place une stratégie pour partager régulièrement cette histoire à la fois avec l’establishment politique et le grand public.
Il est essentiel que l’histoire soit simple, persuasive et facile à retenir. Si elle donne l’impression d’essayer de faire entrer un éléphant dans un trou de souris, elle ne sera pas efficace. Les gens le verront. Elle doit également se concentrer spécifiquement sur les individus (plutôt que sur des principes ou des causes abstraites) et chercher à établir une connexion émotionnelle plutôt qu’intellectuelle. Les faits peuvent justifier une décision prise, mais ce sont les émotions qui motivent la décision elle-même. Une fois cette histoire créée, elle doit être intégrée dans tous les produits, ressources et canaux de communication.
Pour s’assurer que votre histoire s’adresse explicitement à un nouveau public politique, il est toujours utile de l’ancrer dans son langage le plus familier. Dans la sphère politique, ce langage n’est pas difficile à identifier. Tous les politiciens sont formés pour revenir à des messages clés, de sorte qu’un rapide survol des clips médiatiques, des communiqués de presse et des pages web révèlera une poignée de termes, de phrases et de formulations qui reviennent systématiquement. Ce jargon est le code d’accès pour ouvrir le coffre-fort du gouvernement. Lorsque les politiciens l’entendent, des opportunités de partenariat s’ouvrent. Lorsque la classe bureaucratique le lit, des programmes autrefois inaccessibles deviennent soudainement des opportunités alignées. En l’intégrant dans votre matériel de communication, votre organisation devient soudainement un véhicule pour la réalisation de leurs propres promesses et une preuve de leur réussite personnelle.
Avons-nous un lien avec les nouveaux détenteurs du pouvoir dans le pays, un plan d’engagement à leur égard et la réputation nécessaire pour qu’ils accordent la priorité à nos rencontres ?
Il est communément admis que lorsque les gouvernements changent, un grand nombre de ceux qui détiennent les leviers du pouvoir changent également. Nous voyons émerger de nouveaux ministres, de nouveaux chefs de cabinet, de nouvelles personnes au sein du cabinet du premier ministre et nous réalisons rapidement que notre voie d’accès directe au financement a changé. Ce que nous ne prenons souvent pas suffisamment en compte, c’est le changement radical de la voie « indirecte » vers le financement.
Souvent, les influenceurs politiques les plus puissants se trouvent en dehors de l’appareil politique. Il est donc essentiel pour les organismes de bienfaisance non seulement d’identifier les personnalités influentes clés, mais aussi de mettre en place une stratégie pour établir un lien avec eux, souligner l’alignement envers leur mission et démontrer la capacité à générer un impact positif. Par exemple, sous le régime Trudeau, entretenir une relation étroite avec des figures comme Frank Graves, Greg MacEachern ou Geoff Green permettait non seulement d’identifier les bonnes portes auxquelles frapper, mais aussi de les ouvrir. Alors que les conservateurs sont en position de réaliser des gains politiques majeurs cette année, il incombera peut-être aux organismes de bienfaisance de se tourner vers l’ouest vers Jeremy Hunt, directeur général de Harper & Associates, et de voir s’il est disponible pour une conversation. De plus, avec l’élan qui pousse Mark Carney à prendre la direction du Parti libéral, apprendre à connaître les gens autour de M. Carney pourrait s’avérer extrêmement utile, surtout si la hausse des sondages autour de sa direction se consolide.
Les organisations caritatives politiquement résilientes ne se contenteront pas de concevoir et de mettre en œuvre des stratégies de communication qui utilisent le « bon langage » dans les communiqués de presse, les déclarations publiques, les sites web et l’ensemble de leurs matériels organisationnels. Elles travailleront activement à mieux comprendre leur nouveau public d’influenceurs et à établir, des relations authentiques dès le départ. C’est cette « authenticité » qui est la clé.
Bien que les organisations doivent toujours privilégier une collaboration alignée avec le gouvernement en place, elles ne doivent pas pour autant négliger d’établir des relations avec des personnes potentiellement importantes dans les cercles de l’opposition. Ainsi, si le paysage politique évolue, leur mission restera une priorité pour la nouvelle classe d’influenceurs, avec un accès facilité vers eux, rendant le processus plus productif.
Sommes-nous suffisamment diversifiés pour atténuer les risques liés aux changements dans les programmes de financement gouvernementaux ?
En tant que collecteurs de fonds chevronnés, nous reconnaissons tous l’importance de diversifier les sources de revenus, afin que nos organisations puissent continuer à prospérer, même lorsque certaines sources de revenus attendues ne se concrétisent pas. Ce principe est d’autant plus important lorsqu’on considère que de nombreux organismes de bienfaisance dépendent essentiellement de subventions et de contributions gouvernementales particulières, soutenues par des relations politiques spécifiques, pour mettre en œuvre certains de leurs programmes les plus importants. En outre, plus une relation dure et plus l’accord est renouvelé fréquemment, plus certains auront tendance à croire que le financement se poursuivra indéfiniment.
Cela ne pourrait pas être plus éloigné de la vérité. Le cycle de vie d’un programme de financement gouvernemental est souvent imprévisible. Les programmes peuvent être lancés de manière inattendue, fermés sans préavis, bonifiés de manière circonstancielle ou réduits de manière drastique au gré des impératifs politiques. Les politiciens eux-mêmes évoluent dans un cycle de vie très court et imprévisible. Même si un parti reste au pouvoir pendant près d’une décennie, les ministres changent constamment de portefeuille, les conseillers sont promus ou remplacés, et les nouvelles personnes qui occupent ces postes peuvent ne pas avoir le même attachement ou le même engagement envers votre organisation que leur prédécesseur.
Ainsi, les organisations politiquement résilientes évitent de dépendre exclusivement de financements gouvernementaux pour assurer la prestation de leurs services essentiels. Au contraire, elles utilisent ces occasions uniques pour créer des programmes ciblés qui démontrent leur alignement sur les priorités du gouvernement, leur capacité à livrer des résultats positifs et leur légitimité pour obtenir des financements éventuels.
De plus, elles tirent parti des relations établies avec des personnes influentes et des décideurs pour se tenir informées des possibilités qui s’ouvrent ou se ferment, de manière à pouvoir adapter leur stratégie en conséquence.
Bien que ces quatre questions et les réponses qui en découlent ne définissent pas à elles seules la résilience, elles sont le point de départ d’une réflexion que tous les dirigeants du secteur caritatif seront bientôt amenés à se poser, s’ils ne l’ont pas déjà fait. Les consultants capables d’accompagner leurs clients potentiels à travers ces questionnements, à évaluer leur résilience actuelle et à proposer des solutions adaptées pour naviguer dans ce paysage complexe seront inévitablement très demandés.
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L’AUTEUR :
Jason Muscant s’est joint à Global Philanthropic Canada en 2025, après 20 ans de carrière dans le secteur caritatif, où il a aidé des organisations à évoluer et à répondre aux défis de leur époque. Communicateur passionné et parfaitement bilingue (français et anglais), il excelle dans l’art de simplifier et transformer des idées complexes en messages percutants qui soutiennent la mission des organisations et stimulent leurs revenus. Grâce à son expertise en philanthropie et en développement des relations, Jason a aidé de nombreux organismes à atteindre le succès financier, même dans des périodes difficiles.
Pour Jason, les donateurs n’offrent pas simplement leur argent : ils investissent dans des espoirs, des rêves et les personnes en qui ils croient pour les concrétiser. Lorsqu’il accompagne ses clients, il cherche des solutions de collecte de fonds créatives et adaptées qui aident à transformer ces rêves en réalité. Il puise dans son expérience unique en philanthropie, relations gouvernementales, communications et planification stratégique pour concevoir des stratégies sur mesure. Jason détient une maîtrise en théorie politique de l’Université Carleton et est diplômé du Liberal Arts College de l’Université Concordia. Il a occupé des postes de direction chez JFS-Vancouver, la Société géographique royale du Canada et la Nation Métisse de la Saskatchewan.